Maxime et Raymond ne voulaient point, sans doute, toucher à leur fourchette avant l’arrivée du troisième convive.
Raymond se levait de temps à autre, allait ouvrir la fenêtre et se penchait au dehors, sans nul souci de la pluie fine et pénétrante qui mouillait l’asphalte des trottoirs.
– Rien ! rien ! murmurait-il, hormis mon cocher qui dort sur son siège et le tien qui lit un journal du soir à la lueur d’un réverbère. Antonia ne viendra pas !…
Puis il revenait s’asseoir en face de Maxime et rallumait son cigare à l’une des bougies placées sur la table.
– Ah çà ! mon cher, dit Maxime, comme Raymond répétait pour la troisième fois : ‘Antonia ne viendra pas !’ es-tu fou ce soir ?
– Moi, fou ?
– Sans doute.
– Pourquoi cette question ?
– Tu es jeune et beau, tu as cinquante mille livres de rente, tu passes pour un des hommes à la mode, et tu veux qu’Antonia ne vienne pas !
– Peut-être ne m’aime-t-elle plus ?
– Ô coeur naïf ! murmura Maxime. L’homme qui a cinquante mille livres de rente est toujours aimé.
– Tu crois ?
Et Raymond eut un sourire triste.
– Mais, reprit Maxime, quelle singulière idée as-tu donc eue de nous inviter ce soir, moi ton vieil ami, elle la femme que tu aimes, à venir souper ici, en partie fine, comme des étudiants qui ont reçu leur pension mensuelle et veulent éblouir des grisettes ?
Sobre el autor
Pierre Alexis, vicomte Ponson du Terrail (8 juillet 1829 à Montmaur (Hautes-Alpes) – 10 janvier 1871 à Bordeaux) est un écrivain populaire au xixe siècle et l’un des maîtres du roman-feuilleton. Il est célèbre pour son personnage Rocambole.
Ponson du Terrail commence à écrire vers 1850. Ses premiers écrits sont de style gothique. Par exemple, La Baronne trépassée (1852) est une histoire de vengeance située autour de 1700 dans la Forêt-Noire. Pendant plus de vingt ans, il fournira en feuilletons toute la presse parisienne (L’Opinion nationale, La Patrie, Le Moniteur, Le Petit Journal, etc.) Son oeuvre contient de nombreux calembours, par exemple : ‘En voyant le lit vide, son visage le devint aussi.’