Au soir de sa vie, on doit à Léon Tolstoï (1828 – 1910) quelques textes relativement courts et encore peu connus mais qui nous renseignent sur la fascination tardive du célèbre auteur et moraliste pour l’ontologie du rapport de ses contemporains à l’art. Ce thème taraudait le célèbre écrivain russe. En 1898, paraît ainsi un essai sobrement intitulé Qu’est-ce que l’art ? et qui emporte immédiatement l’adhésion des cercles et salons parisiens dès l’année de sa parution française.
On trouve dans cet opuscule une critique des impostures doctrinales et du pouvoir des institutions cléricales, mais aussi la critique socialiste et morale, courante fin XIXe chez les intellectuels européens, de ce que l’on nommera plus tard le syndrome de « l’art pour l’art ».
Enfin, et de manière plus surprenante, Qu’est-ce que l’art? nous propose un point de vue assez nouveau pour l’époque sur le consumérisme artistique des classes bourgeoises qui fait écho à l’intérêt similaire manifesté au même moment, de l’autre côté de l’Atlantique, par l’américain Veblen, alors en train de mettre un point final à sa célèbre Théorie de la classe de loisir qui paraîtra l’année suivante, en 1899. Tolstoï tout comme Veblen analysent le capitalisme non pas sous le prisme de la production, comme a pu le faire Marx, mais bien sous celui de la consommation, s’arrêtant sur les classes supérieures, cible de nos deux auteurs et, plus tard, de leurs célèbres continuateurs Edmond Goblot (La barrière et le niveau) et Pierre Bourdieu (La distinction).
On l’aura compris, cet essai méconnu de Léon Tolstoï ne mérite pas sa relégation au rang des oeuvres « mineures » de l’écrivain russe. L’art doit-il être « beau » ? Comment comprendre l’art sans croire en la beauté ? Comment formuler une théorie de l’art dans classer les publics qui s’y adonnent? Présenté lors de sa rééditions aux PUF comme un « texte précurseur de l’esthétique moderne », Qu’est-ce que l’art ? pose, plus d’un siècle après sa parution, des questions de perception artistique qui restent d’une vibrante actualité.
Tentang Penulis
Téodor de Wyzewa, ou Théodore de Wyzewa, né en Podolie le 12 septembre 1862 et mort à Paris le 15 avril 1917, est un critique d’art, critique musical et critique littéraire français d’origine polonaise, également écrivain et traducteur multilingue, considéré comme l’un des principaux promoteurs du mouvement symboliste en France.
De 1885 à 1888, il collabore à la Revue Wagnérienne dirigée par Édouard Dujardin. Il contribue de nombreux articles sur la littérature européenne à la Revue des Deux Mondes, au Figaro et à divers autres revues et journaux. Il publie une série d’ouvrages sur les grands peintres, des monographies sur plusieurs compositeurs, des récits et romans autobiographiques, ainsi qu’un grand nombre de traductions de l’allemand, de l’anglais, du russe, du polonais, du latin, de l’italien et du danois.