La classification des psychoses endogènes de l’école de Wernicke Kleist et Leonhard n’a qu’une diffusion confidentielle en France faute de traduction des ouvrages de références. Pourtant nous connaissons certaines découvertes de cette école, puisqu’elle a enfanté le concept de bipolarité. Malheureusement, la version que nous en avons conservée au travers des classifications internationales a abusivement simplifié les concepts d’origine : il n’existe pas une seule forme de trouble bipolaire mais sept phénotypes différents qui n’ont rien à voir avec les types 1 ou 2 du DSM. Ces phénotypes se différencient par leur expression clinique et non par une simple gradation d’intensité symptomatique. Ils se singularisent aussi par leur pronostic et leur charge héréditaire. Le continuum apparent entre troubles bipolaires et schizophréniques trouve là une solution élégante dont la pertinence clinique est étonnante.
Nous sommes heureux que cette traduction mette à disposition des psychiatres et des chercheurs français un premier ouvrage de référence. Leonhard l’avait écrit pour vulgariser ses recherches auprès de ses confrères. C’est une excellente introduction qui permet en particulier de tracer les limites de ce qu’est une psychose endogène. Le lecteur français en particulier remarquera que tous les délires chroniques n’y sont pas considérés comme des psychoses endogènes. Il y découvrira aussi les limites entre troubles endogènes de l’humeur et trouble de l’humeur névrotique.
Au delà des troubles psychotiques, le lecteur se familiarisera avec une approche méconnue des troubles de la personnalité ou des troubles paranoïaques et névrotiques. Si certains termes peuvent paraître surannés, les concepts sont étonnamment modernes et opératoires.
Le niveau de détail est certes insuffisant pour fonder un diagnostic sur la base de cette seule lecture, mais c’est une vue d’ensemble qui permet d’appréhender plus facilement ce joyau de la psychiatrie.
Об авторе
Karl Leonhard (1904-1988) est un psychiatre allemand. Sixième d’une famille de onze enfants, fils d’un pasteur protestant, il fait ses études de médecine à Erlangen, Berlin et Munich. Il les achève en 1928. Leonhard commence à travailler dans les hôpitaux psychiatriques d’Erlangen, puis un an plus tard au Gabersee, un hôpital qui accueille principalement des patients souffrant de troubles psychotiques chroniques. Inspiré par la psychopathologie différentielle de Carl Wernicke (1848-1905), il entreprend un premier travail de classification de ces formes chroniques de psychose. Son travail est remarqué par Karl Kleist (1879-1960), seul élève de Carl Wernicke, et motive ce dernier à lui proposer en 1936 un poste dans son équipe à Francfort-sur-le-Main.
Pendant la période du 3ème Reich, Leonhard participe avec les autres psychiatres de l’équipe de Kleist à soustraire des patients du programme d’euthanasie T-4. Il obtient un poste de professeur à Francfort en 1944 et invente avec Karl Kleist et Hedda Neele la distinction entre troubles unipolaire et bipolaire. Pour pouvoir prétendre à la direction d’un service universitaire, il lui faut quitter le service de Kleist. Il est en effet impossible de se faire nommer dans son université d’exercice en Allemagne. En 1954 il est nommé professeur à Erfurt, une ville qui se trouve alors dans la zone sous gouvernance soviétique. Puis en 1957, il devient directeur du département de psychiatrie à l’hôpital de la Charité lié à l’Université Humboldt de Berlin-Est. Désireux de revenir en Allemagne de l’Ouest dans les années soixante, il s’en voit refuser l’autorisation par les autorités est-allemandes. En compensation, on lui octroie de plus grands moyens pour ses travaux scientifiques. La classification des psychoses endogènes est achevée en 1968. Carlo Perris (1928-2000) et Jules Angst (1926-) sont venus à Berlin pour l’apprendre. Ils n’en ont rapporté que les concepts de bipolarité et de psychose cycloïde. Leonhard ne pourra voyager hors de l’Allemagne de l’Est qu’après sa retraite, et encore, non accompagné de sa famille.