Chez Bainville, ce qui domine, ce qui plaît, ce qui rend commode et attachante la lecture de ce livre, c’est l’aisance admirable du style, d’abord, puis l’absence de toute longue citation, la netteté sobre, mais profonde des jugements, l’objectivité lucide des exposés, un don d’analyse subtile, qui s’efforce de se tenir éloigné de l’éloge ou du blâme, de l’admiration béate ou de la critique tendancieuse.
La grande question qui se pose au sujet de ce livre: « Est-il pour ou contre Napoléon? ». Comme si tout livre sur Napoléon devait être pour ou contre…
L’Histoire, quand elle s’attache à étudier l’un ou l’autre de ses « héros » le scrute à fond, l’étale pour ainsi dire devant nous, le retournant sous toutes ses faces. Eh bien, Napoléon ne sort ni grandi ni amoindri du travail auquel s’est livré Jacques Bainville. A prendre à la lettre plus d’un passage de son livre, on ne peut s’empêcher, de trouver que l’auteur s’est montré plutôt sévère, et à juste titre. Mais, au fond, cela n’est qu’une apparence, car on voit bien vite ce que l’écrivain a voulu faire apparaître dans la carrière épique du grand Corse : c’est que, si celui-ci a eu la faculté extrême de saisir les événements et d’en profiter, s’il a paru les dominer ou les régler à sa guise, sa vie toute entière a été bien plutôt conditionnée par eux, Napoléon Ier a été un « Destin ».
L’originalité du Napoléon de Jaques Bainville, c’est de retrouver les motifs, les raisons des actes ; de ne pas nous montrer un Napoléon tout fait, mais se faisant ; non pas un Napoléon en possession d’une doctrine ni même, primitivement, d’un but, mais, génie réaliste, sans cesse inspiré par les circonstances, se construisant et construisant son empire au fur et à mesure des événements ; non point fataliste, mais commandé par une sorte de fatalité qui est l’instabilité même où il évolue, où il est contraint à évoluer, car sa lucidité n’a jamais été en défaut, et toujours il s’est senti poussé par une nécessité à quoi il ne pouvait se dérober.
Om författaren
Né le 9 février 1879 à Vincennes et mort le 9 février 1936 à Paris, Jacques Bainville s’orienta, après des études classiques au lycée Henri IV, vers les lettres et l’histoire. A vingt ans, il écrivait son premier ouvrage, Histoire du roi Louis II.
Dans les premières années du XXe siècle, il se consacra essentiellement au journalisme, sous la férule de Charles Maurras qui le fit entrer à La Gazette de France, puis lui confia la rédaction de la rubrique de politique étrangère à L’Action française. Jacques Bainville allait codiriger cette publication avec Maurras et Léon Daudet, lorsque celle-ci devint un quotidien.
Observateur clairvoyant et lucide de son temps, d’ une immense curiosité intellectuelle, l’écrivain fécond Jacques Bainville livre chaque jour des chroniques et des éditoriaux à différents journaux.
Bien que n’ayant fait que des études de droit, il enchaîne aussi les livres d’Histoire. Jusqu’à sa mort, il accompagne le mouvement monarchiste et écrit dans son journal, L’Action française. Cette sédentarité ne l’empêche pas de développer des vues prophétiques sur l’Europe.
L’historien et journaliste monarchiste avait tout pour lui: lucidité, brio, maîtrise de tous les genres. Mais son talent est injustement passé à la trappe. Cette réédition lui rend hommage.