Ce texte de Charles Péguy, extrait de L’Argent, a été écrit en 1917. Il demeure d’une étonnante actualité : ‘Pour la première fois dans l’histoire du monde, les puissances spirituelles ont été toutes ensemble refoulées non point par les puissances matérielles mais par une seule puissance matérielle qui est la puissance de l’argent…’
Pour la première fois dans l’histoire du monde, les puissances spirituelles ont été toutes ensemble refoulées non point par les puissances matérielles mais par une seule puissance matérielle qui est la puissance de l’argent. Et pour être juste, il faut même dire : Pour la première fois dans l’histoire du monde toutes les puissances spirituelles ensemble et du même mouvement et toutes les autres puissances matérielles ensemble et d’un même mouvement qui est le même ont été refoulées par une seule puissance matérielle qui est la puissance de l’argent. Pour la première fois dans l’histoire du monde toutes les puissances spirituelles ensemble et toutes les autres puissances matérielles ensemble et d’un même mouvement ont reculé sur la face de la terre. Et comme une immense ligne elles ont reculé sur toute la ligne. Et pour la première fois dans l’histoire du monde l’argent est maître sans limitation ni mesure. Pour la première fois dans l’histoire du monde l’argent est seul en face de l’esprit.
(…) De mon temps tout le monde chantait. (Excepté moi, mais j’étais déjà indigne d’être de ce temps-là). Dans la plupart des corps de métiers on chantait. Aujourd’hui on renâcle. Dans ce temps-là on ne gagnait pour ainsi dire rien. Les salaires étaient d’une bassesse dont on n’a pas idée. Et pourtant tout le monde bouffait. Il y avait dans les plus humbles maisons une sorte d’aisance dont on a perdu le souvenir. Au fond on ne comptait pas. Et on n’avait pas à compter. Et on pouvait élever des enfants. Et on en élevait. Il n’y avait pas cette espèce d’affreuse strangulation économique qui à présent d’année en année nous donne un tour de plus. On ne gagnait rien ; on ne dépensait rien ; et tout le monde vivait.
Il n’y avait pas cet étranglement économique d’aujourd’hui, cette strangulation scientifique, froide, rectangulaire, régulière, propre, nette, sans une bavure, implacable, sage, commune, constante, commode comme une vertu, où il n’y a rien à dire, et où celui qui est étranglé a si évidemment tort.
On ne saura jamais jusqu’où allait la décence et la justesse d’âme de ce peuple ; une telle finesse, une telle culture profonde ne se
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Charles Pierre Péguy est un écrivain, poète et essayiste français.
Après des études dans sa ville natale, il va à Paris préparer le concours de l’École Normale Supérieure, auquel il est reçu en 1894. En 1896, il écrit un drame, ‘Jeanne d’Arc’. Attiré par les idées socialistes, il expose son point de vue dans ‘Marcel, premier dialogue de la cité harmonieuse’ (1898) et milite pour la révision du procès Dreyfus.
Bientôt, il abandonne la carrière universitaire, se sépare du parti socialiste et fonde, en 1900, une revue indépendante, les Cahiers de la Quinzaine, qui se propose d’informer les lecteurs et de « dire la vérité ». C’est de « la Boutique », installé en face de la Sorbonne, que Péguy mènera le combat ; en dépit des difficultés financières, les Cahiers, auxquels collaborent Jérôme et Jean Tharaud, Daniel Halévy, François Porché et Romain Rolland, paraîtront jusqu’à la guerre de 1914.
Les grandes oeuvres en prose de Péguy y trouvent place ; ce sont ‘Notre Patrie’ (1905), où il dénonce le danger allemand et la menace de guerre, ‘Notre jeunesse’ (1910), où il oppose mystique et politique, ‘L’Argent’ (1913), où il évoque le monde de son enfance qui ne connut pas la fièvre de l’argent.
En 1908, il déclarait à Joseph Lotte: « J’ai retrouvé la foi ». De sa méditation, naissent de grandes oeuvres poétiques : ‘Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc’ (1910), ‘Le Porche du mystère de la deuxième vertu’ (1911) et ‘Le Mystère des saints-innocents’ (1911). Reprenant le geste du bûcheron qui, dans ‘Le Porche du mystère de la deuxième vertu’ mettait ses enfants sous la protection de la Vierge, Péguy fait, en 1912, plusieurs pèlerinages à Notre-Dame de Chartres. On retrouve l’écho de ces événements dans ‘La Tapisserie de Sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc’ (1912), écrite en reconnaissance pour la guérison de son fils Pierre, et dans ‘La Tapisserie de Notre-Dame’ (1912) ; Péguy n’hésite pas à écrire ‘Ève’ (1913), une oeuvre d’une longueur inusitée, qui comporte huit tragédies en cinq actes et 8000 alexandrins.
Il songeait à évoquer le Paradis dans un nouveau poème, quand survint la guerre, où il trouva la mort. La plupart des archives sur Péguy sont aujourd’hui rassemblées au Centre Charles Péguy d’Orléans, fondé par Roger Secrétain en 1964. On y trouve notamment la quasi-totalité de ses manuscrits.